Petit traité de la ponctualité
EAN13
9782815955881
Éditeur
Editions de l'Aube
Date de publication
Collection
LES TEMPS INTIMES
Langue
français
Langue d'origine
français
Fiches UNIMARC
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Petit traité de la ponctualité

Editions de l'Aube

Les Temps Intimes

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Notre époque, chacun le sait, est obsédée par le temps, la peur de le perdre,
la crainte de le manquer. Aussi invente-t-elle, malgré les apparences, des
formes nouvelles, mais non moins autoritaires, de ponctualité. Certes, nos
emplois du temps se montrent plus flexibles, nos smartphones et nos
applications nous permettent d’improviser, de déplacer un rendez-vous ou de
partir en week-end à la dernière minute. Mais nous restons soumis à
l’impératif de la réactivité. Nous devons répondre aux emails, consulter les
notifications, commenter l’actualité, partager une story sans tarder. Parmi
nos contemporains, de plus en plus sont victimes d’un syndrome de FOMO (fear
of missing out) : non seulement nous craignons de passer à côté des instants
décisifs de notre vie, mais nous redoutons de manquer les occasions, la
dernière exposition, la dernière promotion… À l’heure des objets connectés, la
pratique du quantified self nous invite quant à elle à observer, chaque jour,
quelquefois à la minute près, des objectifs précis : avoir effectué dix mille
pas, dormi six, sept ou huit heures, consacré trente minutes à la lecture,
etc. Nous consultons fébrilement nos montres ou nos téléphones, non par
crainte de rater un rendez-vous ou une réunion, mais pour nous assurer que
nous sommes en règle avec nos statistiques personnelles, à l’affût de nos
propres data. C’est avec nous-mêmes, ou plutôt avec une image à la fois
idéalisée et rigoureusement mesurée et normée de nous-mêmes, que nous essayons
de coïncider. Entre l’obsession des horaires et le refus de les tenir, il y
aurait peut-être la place pour une autre ponctualité. Celui qui arrive
toujours le premier, qui patiente au pied de l’immeuble ou à l’entrée du
restaurant, ne manifeste-t-il pas l’impatience de retrouver ceux qu’il attend
? Bien sûr, on peut s’agacer de cette manie d’être toujours en avance, qui
laisse entendre que c’est nous qui tardons. Laissons à l’amitié le temps de la
souplesse, à l’amour celui de l’improvisation ! Pourtant, être à l’heure,
toujours à l’heure, ce n’est pas forcément vouloir imposer à l’autre son
propre tempo. C’est aussi chercher la possibilité de vivre avec lui ce que
chaque instant peut offrir. Ainsi de votre meilleur ami qui attend devant chez
vous, le moteur allumé, dans l’aube estivale d’un départ en vacances, ou de
votre conjoint qui patiente dans le salon alors que vous sortez à peine de
votre douche, avant d’aller dîner dans votre trattoria préférée. Opposée à la
ponctualité rigoriste comme au retard compulsif, il faudrait définir une autre
manière d’être à l’heure, attentive aux autres autant qu’à nous-mêmes. Celle-
ci ne chercherait pas à planifier le temps, mais à répondre positivement à
l’injonction de le vivre, pleinement et authentiquement, parfois avec
impatience, mais sans autre hâte que de saisir les virtualités créatrices
qu’il recèle. Elle ne viserait pas tant l’heure exacte que l’heure juste, au
rendez-vous de ce que celle-ci peut nous donner. Au milieu du quotidien, un
temps partagé, un temps de l’autre et peut-être un temps autre, qui demande
qu’on se rende disponible à lui.
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